Andromaque de Racine

Mise en scène : Stéphane Braunschweig

Odéon Théâtre de l’Europe

Andromaque de Jean Racine, mise en scène et scénographie de Stéphane Braunschweig. Avec Pierrick Plathier, Jean-Baptiste Anoumon, Alexandre Pallu, Jean-Philippe Vidal, Bénédicte Cerutti, Boudaïna El Fekkak, Chloé Réjon, Clémentine Vignais. Costumes, Thibault Vancraenenbroeck, lumière Marion Hewlet, son Xavier Jacquot, coiffures et maquillage Emilie Vuez. Du 19 novembre au 22 décembre 2023, Odéon – Théâtre de l’Europe.

Du 16 au 19 janvier 2024, Théâtre national de Bordeaux. Les 1er et 2 février, Théâtre de Lorient. Du 8 au 14 février, Comédie de Genève.

Photographie, Simon Gosselin.

Fidèle à son goût de l’épure,  Stéphane Braunschweig a fait, pour son Andromaque,  l’économie des murs couloirs  et antichambres souvent considérés comme les lieux privilégiés du huis-clos racinien.

A l’avant, se détachant sur ce fond obscur, quelques chaises blanches, sont disposées autour  une petite table recouverte d’une nappe immaculée où deux verres et un flacon d’alcool sont mis à disposition d’éventuels convives.  Signe qu’au sens de la dramaturgie racinienne, l’action a déjà commencé, une chaise renversée au sol semble témoigner de quelque récente  querelle.

Tous les protagonistes du drame vont alors surgir du lointain plongé dans la pénombre. Tirés d’un passé immémorial, ils ne tarderont pas à patauger dans un véritable bain de sang. La petite table nappée de blanc n’est–elle consacrée qu’à d’austères libations diplomatiques ou apparait-elle comme l’espace  ouvert à d’âpres négociations d’après-guerre ?  A moins qu’il ne s’agisse-il de l’autel dressé en vue d’on ne sait guère quel sacrifice sanglant qui n’est pas sans rappeler celui d’Iphigénie.

. Il reste cependant que, Troie à peine réduite en cendre, les motifs de litige sont loin d’être tous dissipés. Couvert d’un tapis rouge, le sol  évoque une sorte d’arène humide où semble refluer peu à peu tout le sang versé sous les murs de la cité vaincue.

Entrent Oreste (Pierre Plathier) et Pylade  (Jean-Baptiste Anoumon). Si leurs sombres imperméables rappellent en eux les assassins de Clytemnestre et d’Egisthe, la blancheur d’impeccables chemises blanches trahit cependant la fonction de délégués en mission. Car si, à ce qu’il semble, c’est de paix qu’il s’agit, cette paix demeure fragile.

Entre Oreste d’abord suivi de son pédagogue, le zélé Phoenix (Jean-Philippe Vidal). Mandaté par les grecs. Il est  accouru au bruit du mariage annoncé de Pyrrhus, roi d’Epire, et d’Andromaque sa captive,  veuve d’Hector.  Alarmés par la crainte de voir , l’enfant d’Hector et d’Andromaque, rallumer quelque jour le flambeau de la revanche troyenne, les grecs murmurent. Ils entendent réclamer par la bouche d’Oreste, que le meurtre du petit Astyanax parachève leur victoire.

Pylade, son indéfectible  ami accouru , propose un expédient: qu’Oreste, amoureux de la  sombre et vindicative Hermione fille d’Hélène, consente à l’épouser de gré ou de force. fut-ce en relayant par la violence d’un rapt l’amour qu’elle lui refuse.

Jadis promise au fils d’Agamemnon par Ménélas roi des grecs, l’Hermione que campe ici l’excellente Chloé Réjon, oscille sans cesse entre le « Fuyons » et le « demeurons » qui la retient encoresur les pas de Pyrrhus qu’elle aime. Regard noir et poings serrés au fond des poches, elle semble en quête des armes qu’à son corps défendant, elle ne trouve qu’auprès d’Oreste .

Seul à avoir jadis combattu sous les murs de Troie, Pyrrhus (Alexandre Pallu) surgit comme au débotté. Hirsute, échevelé et sauvage, oujours revêtu des lambeaux d’uniforme du baroudeur, il récuse d’un geste l’ambassade envoyée par les grecs.

Oreste peut bien s’en offusquer ( « Ainsi, la Grèce en vous trouve un enfant rebelle ? « ) S’il conna le double obstacle que dresse respect dû à la volonté d’un père et l’inflexible résolution d’Hermione de se venger de Pyrrhus

Pyrrhus se roule littéralement aux pieds d’Andromaque. Ravivant à même le sol imbibé de sang ses plaies mal fermées, il les exhibe comme autant de stigmates pour témoigner d’un amour dédaigné . Rejetant l’aura et le prestige qui célèbrent en lui l’ancien combattant et le fils d’Achille, il use tour à tour de la supplication et du chantage. Ainsi peut-il s’écrier au comble de l’exaspération amoureuse: « Le fils me répondra du mépris de la mère. »

Comme perdue au milieu  de cette petite assemblée guerrière, enjeu de tractations qui ne se négocient qu’au prix du sang, dans l’ombre portée du chantage, du rapt, du meurtre et de l’infanticide, Andromaque (magnifique Bénedicte Cerruti) erre, telle une ombre. Suivie de la fidèle Céphise (Boutaïna El Fekkak) elle apparaît, très pâle, reine déchue sans parure ni ornements. Ses vêtements – chemise blanche et pantalon sombre-  disent son renoncement au monde et son choix de l’austère veuvage jadis promis aux mânes d’Hector.

Si elle paraît devant Pyrrhus c’est sans autre désir que celui de sauver la vie du petit Astyanax. Si elle lui consent un entretien, c’est pour plaider, une fois de plus, la cause d’ « Un enfant malheureux qui ne sait pas encor / Que Pyrrhus est son maître et qu’il et fils d’Hector. »

La course-poursuite est engagée et  la boucle est bouclée qui fait d’Oreste l’amoureux d’Hermione, laquelle aime Pyrrhus qui aime Andromaque qui aime un mort…  A ce jeu des amours  impossibles, nul des protagonistes n’entend  céder sur son désir, fût-ce au prix de la vie.

Ainsi, Pyrrhus succombe-t-il sous  les coups des grecs prévenus de sa trahison.  Ainsi la sombre Hermione rejette-t-elle avec des feulements de haine et de dégout  ce même Oreste dont elle a fait le bras armé de sa vegeancen dépit, pour mieux le livrer aux fureurs de son délire halluciné.

Debout sous un ciel sanglant, Andromaque se dresse une dernière fois. Reine deux fois vaincue, elle est encore revêtue de la robe de satin préparée pour d’inutiles secondes noces. Serrant Astyanax dans ses bras, elle se tient immobile, figée comme une statue de sel . Vers quelle aube ou vers  quel  autre horizon lui faut-il maintenant tourner les yeux ? Quelle grâce peut-elle implorer? Quel refuge peut-elle trouver sous le ciel vide et toujours sanglant d’un monde dévasté ? Un monde  qui ressemble peut-être déjà au nôtre.

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