C’était un samedi (Μέρα Σάββατο )

Textes Irène Bonnaud, Joseph Eliyia, Dimitris Hadzis. Mise en scène Irène Bonnaud. Avec Fotini Banou (jeu, chant). Scénographie sculptures Clio Makris. Lumière Daniel Levy. Collaboration artistique Angeliki Karabela, Dimitris Alexakis Traduction grecque Fotini Banou. Régie générale Yannis Zervas. Photographie de Nicolas Larcourrèges.



Le samedi 25 mars 1944, jour de Shabbat,  la totalité de la population juive de la petite ville de Ioannina fut raflée par les nazis et embarquée pour un voyage sans retour vers  Auschwitz-Birkenau.
On rapporte qu’une première fois  déportés et promis à l’esclavage sous le règne de l’Empereur Titus, après la destruction du Temple de Jérusalem, les juifs naufragés avaient trouvé refuge en Epire (d’où leur appellation de « Romaniotes »).  En 1944, la population juive de Ioannina s’élevait à environ quatre-mille âmes dont une poignée a survécu.
Insensiblement, l’actrice et chanteuse Fotini  Banou se glisse parmi la vingtaine de figurines de terre cuite réalisées par Clio Markis. Elle les déplace, les étreint délicatement, leur rend leur identité de petits boutiquiers, de femmes de ménage, de poètes et de gamins des rues.   Sa voix chaude et puissante les enveloppe, alternant berceuses et couplets  révolutionnaires, mêlant le grec  aux complaintes byzantines et judéo-espagnoles.
 Leurs silhouettes immobiles se découpent sur le mur de fond où sont projetés les textes  surtitrés  en français. Elles sont là, figées tels les les passagers en attente sur le quai d’un chemin de fer pour  enfants.  On en resterait là si, entrecoupée par les éructations d’un discours nazi, une projection animée  au raz du plateau ne venait semer soudain la panique  dans la fourmilière humaine.  
Il faut savoir gré à Irène Bonnaud d’avoir su faire appel aux témoignages des rares survivants recueillis en Israël, en Grèce ou aux USA ; d’avoir su s’inspirer des écrits de Dimitris Hadzis et  du poète Joseph Eliyia.
Ariane Mnouchkine,  qui accueille aujourd’hui ce spectacle, préfaçant naguère un ouvrage d’histoire du théâtre,  évoquait le petit théâtre du ghetto de Vilnö dont elle tenait le témoignage du dramaturge israélien Yosua Sobol : jour après jour, une femme anonyme modelait de minuscules  figurines de mie de pain prélevées sur sa maigre ration quotidienne qu’elle modelait. Elle animait ainsi son petit théâtre éphémère sous les yeux ébahis d’un public qu’elle savait  affamé et condamné à  terme.
Il faut célébrer ce théâtre du minuscule dont Irène Bonnaud et Fotini Banou restituent l’univers naïf et chaleureux.
De même que le déchirant petit  théâtre de Vilnö puisa  sa force emblématique dans la  folle volonté de résister malgré tout,  ce fut cette force désespérée qui anima les membres grecs du Sonderkommando qui, en aout 1944, sabotèrent  les crématoires d’Auschwitz  et parvinrent à faire parvenir clandestinement à l’extérieur quelques clichés soustraits à la nuit des chambres à gaz. Le spectacle s’achève sur le rappel  de cet épisode placé sous le signe d’une  indéfectible résistance.

 

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